Najib Akesbi : Il faut d’abord s’entendre sur ce que l’on appelle « réforme ». La TVA, instituée en 1986 au Maroc, s’est révélée être un impôt très intéressant pour les Etats. Du fait de son assiette large, essentiellement la consommation des ménages, ce prélèvement est rentable pour le Trésor public. En fait, cet impôt dit «indirect» va permettre aux classes possédantes de transférer une partie importante de la charge fiscale de l’assiette du capital et des hauts revenus vers l’assiette des dépenses de consommation. Le succès de la TVA est en réalité celui d’une fiscalité de classe qui sous-impose les riches et continue de peser de tout son poids sur les pauvres. Plus la TVA se développe dans un pays, plus le système fiscal en question est inéquitable et régressif.
Ceci étant, au début des années 2000, les institutions financières internationales commencent à «recommander» un peu partout la mise en place de réformes fiscales qui doivent, selon elles, nécessairement passer par celle de la TVA. Pour situer cela dans son contexte, il faut rappeler qu’à l’époque, la mondialisation était encore jugée «heureuse» par l’establishment, et la libéralisation des échanges battait son plein dans le sillage de l’accord de l’OMC (Marrakech, 1994) et des très nombreux accords de libre-échange, signés alors à tour de bras…
La première conséquence tangible en a été une baisse conséquente des recettes des droits de douanes, alors que par le passé, ces dernières avaient pu représenter une part appréciable des recettes fiscales, notamment des pays en développement. Dans ces conditions, on va d’une certaine manière essayer «d’internaliser» la fiscalité extérieure, ce qui signifiait concrètement la compensation des recettes douanières en baisse par la hausse des recettes de la TVA. Autrement dit, une telle «réforme» revenait en fait à transférer la charge fiscale des consommateurs «internationaux» vers les consommateurs «nationaux».
Ce pari sur la TVA va être accompagné d’une volonté d’en élargir l’assiette (en élargissant son champ d’application à des secteurs jusqu’alors non concernés, tels le petit commerce, l’artisanat, l’agriculture, etc.). Par ailleurs, sous prétexte de simplification du système de la TVA, on va plaider pour une réduction du nombre de ses taux, voire l’instauration d’un taux unique, comme le préconisent les partisans de la Flat Tax.
Au Maroc, la conduite de cette «réforme» par les gouvernements qui se sont succédé depuis ne semble guère avoir été aisée, d’abord en raison de son impact sur le pouvoir d’achat de la population et, partant, de ses implications politiques et sociales. Il faut savoir qu’au Maroc, la réduction, voire la suppression de la différenciation des taux reviendrait à substituer à la palette actuelle des taux (20%, 14%, 10%, 7%, 0%...) deux taux qui seraient le taux commun de 20% et un taux minoré de 10% réservé à certains biens et services de large consommation. Du coup, cela signifie clairement que les biens et services actuellement exonérés ou soumis à des taux faibles voient forcément leur imposition s’alourdir (en passant par exemple de 0 ou 7% à 10 ou 20%, ou en passant de 10 ou 14% à 20%). Et en effet, depuis 2004-2005, les mesures concernant les changements de taux de la TVA contenues dans les Lois de Finances successives vont presque toujours dans le sens de l’augmentation... Ainsi, certains biens et services exonérés ont été taxés à 7 ou à 10%, voire à 20%, et d’autres, exonérés ou soumis à 7, 10 ou 14% ont été imposés au taux commun de 20%.