Le développement du système financier islamique
Ce chapitre traite
des différentes voies qui ont été adoptées et qui ont permis l'application de
tous les principes et techniques financières développés ci-dessus, en réponse à
diverses circonstances historiques et économiques de la seconde moitié du 20éme
siècle tant dans le monde musulman que non-musulman.
Nous
commencerons par un aperçu rétrospectif du développement des différentes
institutions financières répondant aux préceptes islamiques et de leur
évolution depuis les années 70 dans le secteur privé à travers le monde
musulman. Nous verrons également comment la restructuration de tout le système
bancaire selon les normes islamiques s'est déroulée dans des pays comme le
Pakistan, l'Iran et le Soudan. Nous parlerons également de la Malaisie, qui,
malgré qu'elle n'ait pas islamisé tout son système, possède un état
d'avancement assez remarquable dans le domaine. Nous examinerons ensuite
l'intégration du système islamique et de ces principes dans les pays
non-musulmans tels que la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, tant au niveau des
banques qu'à travers d'autres instances comme les places financières. Par
après, nous entamerons les différentes coopérations émergeant entre les deux
systèmes. Enfin, nous terminerons par Ime évaluation de la situation actuelle,
tant au niveau des problèmes que rencontrent les banques islamiques qu'à celui
des opportunités qu'elles offrent et des perspectives pour le futur.
1. Histoire
et développement du système financier musulman.
1.1.
Evolution dans le monde musulman
Ce n'est que
depuis la Seconde Guerre mondiale et le début de l'indépendance des pays
musulmans qu'on voit émerger une renaissance de la finance islamique. La fin du
colonialisme et la recrudescence du sentiment de religiosité ont largement
contribué à ce phénomène, mais ce sont véritablement les immenses revenus
engendrés par les différents booms pétroliers qui ont alimenté et permis sa
croissance.
Cependant,
pour retrouver l'origine de ce mouvement, il faut remonter bien plus en
arrière, vers la moitié des années 30, époque à laquelle certains ulémas (savants
musulmans) tentent une approche islamique des différents problèmes
socio-économiques, problèmes qui les amenèrent à s'interroger sur la légitimité
de l'application de l'intérêt dans leur économie. Ainsi, ils se distinguaient,
dans leur réflexion, des économistes de l'époque puisque leur volonté ne
résidait pas, comme ce fut le cas jusqu'alors, à modifier les injonctions
islamiques pour les adapter aux pratiques financières occidentales. Ils
désiraient, au contraire, réaffirmer les préceptes islamiques, sans accorder
aucun compromis, et convaincre l'opinion publique de la nécessité d'un retour
vers un système économique en conformité avec les normes de l'Islam. Certains
banquiers et économistes musulmans répondirent à l'appel mais aucune des
tentatives n'eut réellement un impact décisif. On retrouve plusieurs exemples
remontant à cette époque en Malaisie dans le milieu des années 40 et dans le
Pakistan des années 50, à travers l'apparition de coopératives rurales accordant
des crédits sans intérêt. En 1962, le gouvernement malais mit à la disposition
de sa population le «Pilgrim's Management Fund", qui permit aux fidèles
d'épargner pour l'accomplissement du pèlerinage à la Mecque. Malgré que
l'étendue de l'activité de ces différentes instances reste limitée, elles
représentaient sans conteste l'ouverture à de plus larges aspirations et
certains voient en cette première ébauche la première phase de l'islamisation
du système économique et financier.
L'émergence
des discussions théoriques sur l'économie et la finance islamique n'a été
concrétisée dans la réalité qu'en 1963 à Mit Ghamr en Egypte. Cette première
banque jouait essentiellement le rôle d'une banque d'épargne basée sur le
système du partage des profits et des pertes mais ne projetait cependant aucun
dessein religieux, évitant de cette manière d'être perçue comme une
manifestation du «fondamentalisme musulman» qui était alors un anathème aux
yeux du régime politique en place à cette époque. Cette expérience se poursuivit
jusqu'en 1967, temps auquel plus de neuf succursales s'étaient implantées à
travers tout le pays, étant donné le succès grandissant qu'avait connu
l'application d'un système en conformité avec la Chari'a. Peu de temps
après la cessation de l'activité de cette première banque apparut, en 1971, la
Nasser Social Bank, qui opérait également sans intérêt et dans les statuts de
laquelle n'apparaissait aussi aucune référence à la Chari'a
Le début des
années 70 fut la scène d'un véritable changement politique et idéologique dans
le paysage arabo-musulman. L'indépendance économique et politique face à la
mainmise occidentale était de plus en plus marquée, et permit à la population
de ces différents Etats d'exprimer et de pratiquer librement sa foi. Ce regain religieux
se manifestait à tous les niveaux de la population et dans tous les domaines,
en particulier dans celui de l'économie et de la finance. Ceci nous conduit à
la deuxième phase dans laquelle les contours d'un système bancaire alternatif
rejetant l'intérêt et conforme aux objectifs de la Chari'a furent
dessinés pendant différents séminaires et conférences tenus à cette époque
En 1975, un
premier pas dans la concrétisation de ce système va être la constitution de la
Banque Islamique du Développement, la BID, à jeddah. La BID, considérée comme
le point de départ de l'essor des banques islamiques, est une banque
intergouvernementale qui fournit les fonds nécessaires à des projets de
développement dans ses 54 pays membres. La BIO fournit des services rémunérés
par la couverture des frais qu'ils engendrent et une assistance financière à
ses pays-membres basée sur le partage des profits. Les opérations de la 81D ne
contiennent aucun taux d'intérêt et font, cette fois, explicitement référence
aux principes de la Chari'a. Lors d'une interview à un programme
télévisé pakistanais, le Dr Ahmad Muhammad Ali, Président de la BIO, tente de
donner un aperçu des objectifs de l'institution: « ... les principaux
objectifs derrière l'établissement de la Banque Islamique de Développement sont
de promouvoir la solidarité et de renforcer les relations entre les
pays-membres musulmans». II continue en expliquant comment
la 81D a opéré jusqu'à aujourd'hui pour remplir son rôle: « ... la banque a
financé un certain nombre de projets non seulement dans les pays membres mais
également pour les musulmans vivant dans des pays non-membres ... la
banque a mis en place divers programmes afin de promouvoir l'investissement
direct entre les pays-membres au lieu d'utiliser des voies divergentes».
De la même
manière, plusieurs banques islamiques, tant dans la lettre que dans l'esprit,
vont apparaître dans les années 70 au Moyen-Orient. Ainsi, on peut citer la
Dubaï Islamic Bank (1975), la Faysal Islamic Bank du Soudan (1977), la Faysal
Islamic Bank d·Egypte (1977), la Banque Islamique de Bahreïn (1979), pour ne
mentionner que celles-ci.
Les pays de
l'Asie du Pacifique, bien que précurseurs du système financier islamique,
étaient à cette époque moins enclins au changement, et il fallut attendre le
début des années 80 pour voir s'établir en Malaisie la première banque
islamique à part entière, la Bank Islam Malaysia Berhad (81MB). Le mouvement
fut dès lors enclenché, et le nombre de banques islamiques ne cesse d'augmenter
depuis cette époque.
La plupart
des banques islamiques sont d'initiative privée, dans lesquelles le
gouvernement n'a pas de rôle ou seulement un rôle passif. Dans ce cas, les
banques islamiques coexistent avec des banques opérant selon le système
conventionnel, c'est-à-dire en pratiquant l'intérêt. Cependant, quelques pays
musulmans, comme l'Iran, le Pakistan et le Soudan ont adopté une approche
différente, celle de l'islamisation progressive de tout leur système économique
et financier.
1.2.
Evolution dans le monde occidental
Nous entrons
ici dans ce que nous appellerons la troisième phase de développement du système
bancaire islamique, c'est-à-dire son intégration dans des régions où la
population musulmane est minoritaire et dans des pays occidentaux.
1.2.1. Europe
continentale
Hormis le
cas de la Grande-Bretagne, le mouvement d'intégration des banques islamiques en
Europe est assez paradoxal. En effet, c'est dans les pays où la population
musulmane est presque insignifiante qu'on retrouve les principales institutions
implantées en Europe. Le mouvement d'intégration des banques islamiques en
Europe Continentale ne connaît pas encore un réel succès, et celles qui ont été
établies jusqu'à présent le sont essentiellement pour les avantages fiscaux et
légaux qu'offre leur pays d'accueil.
C'est en
1978 qu'apparaîtra la première institution islamique en Europe, plus exactement
au Luxembourg. L'«Islamic Banking System», qui sera rebaptisé plus tard la
«Islamic Finance House Universal Holdings», sera essentiellement consacrée à
l'acquisition par achat, échange, souscription, ... de parts dans des sociétés
tant en Europe que dans le reste du monde. Cette banque s'est également
largement impliquée dans le financement de projets communautaires (petits
supermarchés, boucheries, ...), principalement en Allemagne.
IBS
Luxembourg tentera d'élargir sa présence jusqu'au Danemark, où il installera
une filiale en 1982. il sera ensuite racheté par la Dar al-Maal al Islami
(DMI), avant de fermer définitivement ses portes en 1997.
Beaucoup
plus tard, en 1990, va s'établir la Faisal Finance à Genève en Suisse, filiale
de la Dar al-Maal al Islamic (DMl). Cette institution remplira principalement
le rôle d'une banque d'affaires avec toutes ses implications. Une autre filiale
de la DMI ouvrira également ses portes au Luxembourg, mais cette fois en tant
que holding de type Soparfi (société de participations financières), et non pas
sous le statut d'une banque.
Dans les
pays d'Europe Continentale où la communauté musulmane représente une partie
non-négligeable de la population, comme l'Allemagne, la France ou la Belgique,
les banques islamiques sont jusqu'à présent non-existantes. Le principal
argument avancé pour justifier cette carence est la présence de législations
qui s'opposent à l'établissement de telles institutions.
En Belgique,
plusieurs règles légales viennent entraver le développement de cette
initiative. Dans un premier temps, la législation bancaire belge prévoit que
toutes «les succursales d'établissements de crédit ne relevant pas d'un
Etat-membre de l'Union Européenne sont soumises aux mêmes règles que les
établissements de crédit de droit belge ... La Commission Bancaire et
Financière peut ... refuser un agrément à la succursale d'un pays ne faisant
pas partie de l'UE si elle estime que la protection des épargnants ...
requiert la création d'une société de dmit belge). Les banques islamiques établies à
J'étranger, étant en général des succursales de groupes basés au Moyen-Orient,
sont soumises à cette règle.
L'une des
règles les plus contraignantes est le système de garantie de dépôts géré par
J'Institut de Réescompte et de Garantie des dépôts. Par ce système, tous les
dépôts sont protégés des pertes réalisées ou de la faillite des banques par
leur adhésion obligatoire à cette instance. Dans le système islamique, seuls
les comptes courants garantissent le capital initial. Par contre, le capital
investi sur les comptes d'investissement peut être sujet à une dépréciation,
suite aux pertes possibles engendrées par le projet financé.
La
législation bancaire belge énumère toutes les activités que les
banques sont autorisées à pratiquer. Parmi celles-ci, certaines dispositions
communes aux deux systèmes se retrouvent, telles que la collecte des dépôts, le
leasing, les opérations de paiement, ... Au demeurant, les opérations
commerciales réalisées dans le cadre des contrats de Murabaha ne sont
pas couvertes par la loi et ne peuvent donc être appliquées en Belgique.
Enfin, J'une
des dernières contraintes légales qu'il est encore important de citer est la
limitation de détention de droits d'associés et de participations qu'une banque
peut détenir. Un arrêté royal prévoit à cet effet que «chaque poste n'excède
pas 15% des fonds propres de l'établissement de crédit et que le montant
total n'excède pas 45% des fonds propres de l'établissement». Etant donné que J'activité
principale d'une banque islamique est J'investissement des fonds déposés selon,
entre autres, un contrat de Mudaraba qui peut prendre la forme de
participation dans le capital d'une société pour le compte propre de la banque,
il est évident que ces normes seront inévitablement dépassées.
En
Allemagne, la seule initiative connue jusqu'à nos jours est celle qui a été
entreprise par l'IFH située au Luxembourg.
Mis à part
ce projet, l'Allemagne reste surtout le siège d'une certaine réflexion sur le
système. Plusieurs personnalités ont révélé un véritable intérêt à J'égard du
système bancaire islamique, bien que cet intérêt se soit jusqu'ici résumé au
potentiel du système d'un point de vue global, plutôt qu'à une application
spécifique à J'Allemagne
Un autre
argument qui est souvent cité pour justifier J'absence de banques islamiques en
Europe Continentale est le poids relatif de la communauté musulmane dans la partie
la moins favorisée de la population. Cet argument reviendrait pourtant à dire
que « ... le système bancaire islamique ne serait réservé qu'aux riches et
aux hommes d'affaires musulmans, ce qui est .évidemment en contradiction avec
les principes énoncés par le Coran.
1.2.2.
Grande-Bretagne
La
Grande-Bretagne est le seul pays d'Europe176 qui, jusqu'ici, a
autorisé l'établissement d'une banque islamique sur son territoire. Malgré que
J'expérience ne dura que jusque 1993, J'établissement de la Al-Baraka
International Bank Lirnited (AlBL), filiale du groupe Al-Baraka, est
considéré comme J'expérience pionnière du système bancaire islamique en Europe.
La fermeture de la banque en 1993 est essentiellement due à son incapacité à
répondre aux exigences de la Banque Centrale d'Angleterre. Dans une lettre
adressée à J'Association des Banquiers Arabes en mars 1994, Eddie George,
gouverneur de la Banque d'Angleterre à cette époque.
L'interruption
de J'activité de l'AlBL en Grande-Bretagne laissa un vide qui ne fut comble
qu'en 1997, lorsque l'United Bank of Kuwait (UBK) basée à Londres proposa un
nouveau plan de financement immobilier sans intérêt. L'Islamic Investment
Banking
Unit (lBU),
comme est appelé ce projet, propose principalement des contrats de Murabaha et
de Ijam pour permettre le financement de l'achat de biens immobiliers
aux musulmans britanniques qui ne désirent pas contracter un emprunt à intérêt.
Il est important de noter que l'UBK avait déjà lancé le même type de service en
Irlande en 1994. L'IIBU Fund II PLC basé à Dublin permet l'investissement de
fonds dans un assez large portefeuille d'équipement basé sur le principe de l'Ijara.
D'autre part, l'UBK avait également déjà proposé le Healthcare Fund en
décembre 1996, né de l'association de l'UBK et de la Kuwait Finance House,
offrant la possibilité d'un financement immobilier par Ijara.
D'autres
tentatives ont été entreprises entre-temps, mais sans grand succès. Ce fut le
cas, par exemple, pour l'El Medina Islamic Equity Fund lancé en 1994, qui
sélectionnait une centaine de sociétés dans un panier de 500, dans lesquelles
les investisseurs musulmans pouvaient investir. Ce fonds n'eut pas le succès
attendu, à cause d'un manque de crédibilité et de la carence d'un plan de
marketing adéquat, étant donné la nouveauté du produit.
En dépit du
peu de réussite engendré par la tentative d'implantation d'une institution
islamique en Angleterre, Londres reste sans conteste la première place
financière islamique et également la plaque tournante des réflexions et des
discussions sur ce sujet et le lieu d'édition des différents ouvrages publiés
en anglais dans le domaine. Par conséquent, la Grande-Bretagne est le pays
d'Europe le plus avancé et le plus ouvert à une réelle implantation du système
financier islamique. Ceci sera illustré lorsque nous aborderons les différentes
coopérations qui existent entre les deux systèmes. Nous verrons, en effet,
comment plusieurs banques britanniques se sont lancées dans l'offre de produits
financiers islamiques.
1.2.3.
Etats-Unis
Avec plus de
6 millions de musulmans de toute origine, les Etats-Unis dispose d'un réel
marché pour le développement de services financiers en accord avec la loi
islamique. En outre, contrairement à la situation des immigrés musulmans vivant
en Europe, la communauté musulmane américaine n'est pas confinée dans ce qu'on
pourrait appeler la classe précaire de la population
En réponse à
cette constatation, plusieurs initiatives ont été lancées sur le sol américain.
Parmi celles-ci, on peut citer la LARIBA Bank de l'American Finance House, qui
est autorisée à opérer dans plus de 13 Etats américains. Actuellement, la
LARIBA Bank propose une diversité de services de financement parmi lesquels le
Lease-to-Purchase pour les biens immobiliers, les voitures et les équipements
médicaux. Elle offre également diverses opportunités de financement et
d'investissement aux petites et moyennes entreprises.
Une autre
institution qui s'est également largement développée est l'Amana Mutual Fund
basée à Washington. Ce fonds permet à des investisseurs de placer leur argent
dans un portefeuille diversifié d'actions de compagnies dont l'activité est en
accord avec les principes de la Chari'a.
La liste des
institutions offrant de pareils services est encore longue. Un dernier exemple
pourrait être l'initiative lancée par Omar Clark Fisher, consultant chez OPIC
converti à l'Islam en 1980. Il lança en 1992 la Première Société de Leasing
Islamique, qui, après trois ans d'existence, atteignit un portefeuille
d'investissement de plus de 6 millions d'USD.
2. Etat
actuel du système financier islamique
2.1. Taille
du marché
La taille
actuelle du marché financier musulman est assez difficile à mesurer. Le nombre
d'institutions bancaires totalement islamiques était estimé à plus ou moins 200
unités en 1999 par le magazine spécialisé Private Banker, alors que le
Président de l'Abu Dhabi Islamic Bank, Al Nassiri parlait déjà d'une
augmentation de 34 en 1983 à 194 banques islamiques en 1997
D'après le
Miraj International Investîmes, un fonds d'investissement islamique basé au
Canada, les institutions financières islamiques disposent à l'heure actuelle
d'investissements totalisant 140 milliards de dollars dans plus de 40 pays, un
chiffre qui croît à un rythme annuel allant de 15% à 20%195, alors que Ibrahim
Warde évalue le total des actifs des banques islamiques à plus de 230
milliards de dollars dans plus de 75 pays 196.
Le dernier
recensement officiel des institutions bancaires islamiques a été effectué en
1996 par l'Association Internationale des Banques Islamiques. Malgré que les
chiffres de cette enquête ont inévitablement augmenté en six années de
temps, les graphiques et tableaux qui en ressortent permettent d'obtenir une
idée relativement claire da la taille et de la structure actuelles du marché.
Le nombre de
banques islamiques était alors estimé à environ 90, hormis les banques
du Pakistan, de l'Iran et du Soudan où la totalité du système bancaire a été
islamisée. En 1996, la valeur totale de l'actif qui était géré par ces banques
s'élevait à 28 milliards d'USD alors qu'elle est évaluée en 1998 à plus ou
moins 50 milliards d'USD.
Les
différents tableaux présentés ci-dessous sont directement repris des
différentes enquêtes menées en 1996 par J'Association des Banques Islamiques
basée à Jeddah en Arabie Saoudite.
2.2. Analyse
des performances du marché
2.2.1.
Répartition par région
Le tableau
suivant nous donne la répartition des banques islamiques à travers le monde:
Tableau 1: Institutions Financières Islamiques par
Région
Région
|
Nombre d'institutions
|
Pourcentage
|
|
Asie du
Sud et du Sud-Est
|
36
|
42,4
|
|
Pays du
Golfe
|
19
|
22,4
|
|
Autres
Pays du Moyen-Orient*
|
13
|
15,3
|
|
Afrique
|
9
|
10,6
|
|
Europe et
Amérique
|
8
|
9,4
|
|
Total
|
85
|
100
|
|
* Cette catégorie inclut la Turquie.
Ces chiffres
montrent que le plus grand nombre d'institutions financières islamiques se
trouvent en Asie, suivi par les pays du Golfe et les autres pays du
Moyen-Orient. Bien que ces chiffres nous offrent une première idée sur
l'étendue et la répartition du marché financier islamique par région, ils ne
nous permettent pas d'évaluer le poids de différentes régions sur le marché.
Une répartition de la valeur des actifs gérés par région résout ce problème.
Tableau 2: Valeur des fonds gérés par Région
Région
|
Fonds gérés
(en millions de USD)
|
Pourcentage
|
|
Asie du
Sud et du Sud-Est
|
2250,7
|
8,2
|
|
Pays du
Golfe
|
17834,5
|
64,7
|
|
Autres
Pays du Moyen-Orient
|
5430,1
|
19,7
|
|
Afrique
|
334,5
|
1,2
|
|
Europe et
Amérique
|
1 723
|
6,2
|
|
Total
|
27573
|
100
|
|
Grâce à ce
dernier tableau, il est facile de voir qu'une très grande partie de l'activité
bancaire islamique est gérée au Moyen-Orient, dans les Pays du Golfe. Cette
région compte, en effet, plus de 84% des totalités fonds qui sont gérés par les
institutions bancaires et financières islamiques.
2.2.2.
Répartition par taille
La taille
est une variable importante pour pouvoir déterminer l'efficacité d'une banque.
Tableau 3: Institutions Financières Islamiques par
taille de l'actif
Actifs (en millions d'USD)
|
Distribution fréquentielle
|
|
0-50
|
39
|
|
51-100
|
13
|
|
101-200
|
4
|
|
201-300
|
3
|
|
301-400
|
8
|
|
401-500
|
1
|
|
500-1000
|
3
|
|
> 1000
|
7
|
|
Total
|
78
|
|
D'après les
données de ce tableau, nous pouvons constater que la majorité des banques
islamiques se trouvent en dessous du seuil d'efficacité fixé à 500 millions
d'USD. Seules 10 banques sur les 80 dont les données sont disponibles
publiquement atteignent ce seuil. La petite taille adoptée par la majorité des
banques islamiques est souvent justifiée comme une manière de minimise!":
le risque à travers une diversification de leur portefeuille d'actifs.
Tableau 4: Institutions financières islamiques par
taille du capital
Capital
(en millions d'USD)
|
Distribution
fréquentielle
|
|
0-25
|
55
|
|
26-50
|
10
|
|
51-75
|
5
|
|
76-100
|
2
|
|
101-150
|
2
|
|
151-200
|
2
|
|
201-300
|
2
|
|
Total
|
78
|
|
Ce tableau
nous permet de constater que seulement 8 institutions ont atteint ce niveau
d'optimalité.
Des
résultats qui sont dégagés de ces différents tableaux, on peut conclure que
seul un nombre restreint d'institutions financières islamiques a atteint les
différents niveaux d'optimalité. Ces résultats peu encourageants sont, de
manière générale, à imputer au très jeune âge de la plupart de ces
institutions. Au demeurant, il est de notoriété publique qu'un haut niveau de
capital facilite l'appel à de nouveaux fonds puisqu'il reflète l'intérêt que
portent des actionnaires à la société.
2.2.3.
Analyse du financement par mode
A présent,
il est intéressant de voir quels sont les modes de financement qui sont le plus
usités par un échantillon de 10 banques islamiques. Les banques reprises dans
cet échantillon par l'Association des Banques Islamiques ont été sélectionnées
selon deux critères: premièrement, selon une taille minimum pour que les
données puissent être statistiquement significatives; deuxièmement, selon la
disponibilité des informations requises. Les dix banques reprises dans
l'échantillon représentent ensemble environ 50% de l'actif total agrégé des
banques islamiques en 1996; ce qui assure une certaine représentativité à
l'échantillon.
La banque
islamique se procure ses ressources en utilisant un contrat de Mudaraba et
va les utiliser par le biais des différents modes de financement qui ont
également été étudiés dans le chapitre précédent.
Ce graphique
reprend l'utilisation des divers modes de financement par les moyennes des
différentes banques. Cela indique la proportion de chaque mode de financement
dans l'activité de la banque. On constate que la Murabaha représente
plus de 70% et l'Ijara 5%. Donc, les instruments financiers basés sur la
dette représentent plus de 75%, alors que les instruments basés sur le partage
du profit représentent moins de 14% du total.
2.2.4.
Analyse du financement par secteur
Ici encore,
pour pouvoir examiner quelle était la position du financement par secteur en
1996, un échantillon d'une dizaine de banques a été sélectionné.
Graphique1: La position du financement par secteur
De ce
graphique, il paraît évident que la majorité des banques investissent leurs
fonds dans des activités commerciales avec 42% du total investi. Le second
secteur dans lequel les banques investissent le plus est celui de l'immobilier,
avec 13%. Le secteur industriel suit de très près avec 12% et l'agriculture
arrive en dernier lieu avec à peine 2,4%.
Les
résultats obtenus ici sont à imputer à ceux obtenus lors de la répartition des
ressources par modes de financement. La Murabaha est, en effet, à
l'origine un mode de financement commercial. Ces résultats peuvent également
être expliqués par la répartition géographique des banques. La majorité des
fonds gérés se situent dans la région du Golfe où l'agriculture est très peu
développée.
Après avoir
étudié les différents résultats du secteur bancaire islamique en 1996, il nous
est maintenant possible de ·les exploiter pour pouvoir envisager les différents
problèmes et opportunités auxquels est confronté le système.
3. Problèmes
rencontrés par le système financier musulman
3.1.
Problèmes d'ordre opérationnel
3.1.1.
Carence en instruments basés sur le principe des 3P
A la lumière
des données étudiées ci-dessus, un premier problème qui se pose aux banques
islamiques est l'impopularité des instruments basés sur le partage du profit.
L'ensemble des techniques financières se scinde, en effet, en deux parties:
celles qui sont basées sur un revenu fixe du capital et celles basées sur le
partage des pertes et des profits (Mudaraba et Musharakah). Alors
que les premiers économistes musulmans préconisaient la Musharaka et la Mudaraba
comme les principales méthodes de financement, elles ne représentent
actuellement que 10 à 15% de l'activité bancaire.
Pourtant,
les théoriciens de la finance islamique ont bâti leurs espoirs sur de tels
instruments et comparé leurs effets sur l'économie à ceux produits par
l'investissement directe. Ils ont également développé toute une série
d'arguments et de théories qui démontrent la supériorité du partage des profits
sur l'octroi d'un revenu fixe20I. L'utilisation de ce type de
transaction a été conseillée comme méthode de financement uniquement lorsque le
partage des risques et des profits n'est pas applicable. Si ce n'est pas le
cas, les juristes et économistes musulmans désapprouvent leur application, les
banques préservant de cette manière le statique avec le système conventionnel,
par l'insistance sur la solvabilité du client et le maintien de la relation
créditeur/débiteur.
Plusieurs
approches doivent être adoptées pour comprendre les causes de cette
impopularité. Partant de la perspective bancaire, le principal obstacle à leur
développement semble se résumer aux risques et aux coûts transactionnels que
ceux-ci engendrent.
Il existe,
en effet, une différence fondamentale entre la banque conventionnelle et la
banque islamique. La sélection d'un projet nécessite des études de
faisabilité et plusieurs évaluations techniques et financières, évaluations qui
requièrent des analystes expérimentés. Les coûts afférents à ces transactions
sont, par ailleurs, dans la majorité des cas bien plus élevés que ceux liés à
l'autre type de fmancement204 La conclusion d'un contrat de Mudaraba
nécessite, en outre, un suivi et un contrôle perpétuel de l'activité du Mudarib,
pour ainsi détecter toute erreur de sa part, erreur qui pourrait être à
l'origine d'une éventuelle perte.
La banque
préfère également les contrats de Murabaha ou d'Ijara aux
contrats basés sur le partage des profits pour la perspective à court terme
qu'ils offrent. Les banques favorisent le court terme étant donné qu'elles
travaillent généralement sur des petites réserves; elles doivent donc pouvoir
disposer rapidement de liquidités si le besoin s'en fait ressentir.
Partant de
la perspective du client, les contrats de Musharaka et de Mudaraba sont
également peu sollicités. L'investissement dans un projet est souvent un
investissement à long terme, et une première phase de croissance est requise
avant de pouvoir entrevoir les premiers bénéfices significatifs. Cette optique
à long terme implique également plus de risque, ce qui n'est généralement pas
un argument en faveur de ces contrats.
Par
conséquent, il n'est pas surprenant que le financement par Murabaha et
par Ijara représente plus de 75% de l'activité globale de financement
des banques islamiques. Ce type de contrat, en plus d'être basé sur le court
terme, offre un haut niveau de liquidité et peu de risque aux investisseurs.
Ces avantages ont donc largement contribué à la forte popularité de ces
techniques, mais cette utilisation abusive pose actuellement certains problèmes
sur la scène financière islamique: le risque de défaut de paiement des clients
et la difficulté de négociabilité de ces actifs.
Le danger
engendré par l'insolvabilité du client est illustré de la manière suivante:
même s'il est permis d'imposer un prix plus élevé pour la vente à crédit
comparé à la vente au comptant, une fois le contrat conclu, une dette fixe naît
du côté de l'acheteur. Si celui-ci n'acquitte pas sa dette, les banques ne
peuvent pas le pénaliser financièrement, cela étant assimilé à du Ribâ.
Il faut
néanmoins rester vigilant lorsque la question de la pénalisation du client est
abordée. Les juristes musulmans s'accordent sur la légalité d'une sanction
financière, mais la banque ne peut retirer aucun bénéfice de celle-ci. La
question de savoir si la banque utilise cette astreinte pour réparer le dommage
qu'elle a subi reste aujourd'hui une question non résolue.
L'autre
problème engendré par l'utilisation excessive de ces contrats basés sur la
dette est leur difficulté à transformer ces modes financiers en instruments
financiers négociables205. Une fois qu'une dette a été créée, elle
ne peut, en effet, être transmise à une tierce personne, si ce n'est dans sa
propre valeur. Vu le poids important de ces instruments sur le marché financier
islamique, celui-ci devient très peu négociable, et représente par conséquent
l'un des obstacles les plus importants à la mise sur pied d'un marché islamique
secondaire.
3.1.2. .
Concurrence et diversification des produits
Les taux de
croissance spectaculaires le prouvent, les banques islamiques ont connu un
succès considérable dans la mobilisation de fonds dans le passé. Cependant, les
circonstances actuelles ne sont plus celles des années 70, et de nouveaux
éléments menacent leur prospérité. Les taux de croissance continuent à évoluer
mais de manière décroissante et de nouveaux efforts sont requis pour
tenter de stabiliser ces taux.
Un premier
élément qui remet en question le futur des banques islamiques est que
celles-ci, après de nombreuses armées de .monopole» dans leur domaine, doivent
affronter aujourd'hui l'intérêt grandissant que portent les banques
conventionnelles sur leur marché. Bien qu'il est difficile d'établir une liste
complète des institutions qui pratiquent le système bancaire islamique parmi
leurs nombreuses activités, il n'en reste pas moins que celles qui l'appliquent
de notoriété publique sont des géants de la scène bancaire internationale. Leur
concurrence introduit graduellement de nouvelles réalités auxquelles les
banques islamiques ne sont pas préparées.
Au
demeurant, la concurrence semble, à première vue, ne pas être un élément
totalement négatif. Elle est généralement supposée être un facteur de
croissance, en promouvant l'innovation, la réduction des coûts et
l'amélioration de la qualité des produits et services offerts aux
consommateurs. Elle n'est pas recommandée dans un seul cas: lorsque les firmes
se trouvent encore dans leur stade de développement, stade durant lequel elles
doivent au contraire être protégées de la concurrence jusqu'à ce qu'elles
atteignent l'expérience et les qualités nécessaires pour que ce phénomène ne
leur 'soit plus défavorable. Les banques islamiques émergent à peine de cette
période qu'elles doivent déjà affronter l'expérience et le savoir-faire des
banques conventionnelles dans des domaines comme les techniques d'innovation,
la stratégie marketing, la diversification de portefeuilles, ...
Ainsi, la
concurrence de grandes banques multinationales menace l'avenir des banques
islamiques. Les banques islamiques se doivent donc de réagir rapidement et
d'investir dans une diversification accrue des produits qu'elles offrent pour
pouvoir répondre aux besoins croissants de leurs clients, eu égard à leurs
exigences en matière de revenu, de délai et de risque. Jusqu'ici, les outils
utilisés restent confinés dans des modes de financement classiques qui ont été
développés il y a des siècles et qui répondaient aux exigences de cette époque.
Malgré que ces outils gardent toute leur efficacité aujourd'hui, les
circonstances et l'environnement obligent les banques islamiques à redoubler
d'efforts et d'investissements dans le domaine de l'innovation.
Cette
innovation est d'autant plus nécessaire que c'est le manque de diversification
dans les produits proposés qui a mené la banque islamique à agir comme un
intermédiaire plutôt que comme un véritable investisseur. Les
investissements en recherche et développement sont, par conséquent,
indispensables.
Cette idée
pourrait paraître évidente, mais elle n'en est pas moins extrêmement difficile
à appliquer, étant donné le filtre religieux par lequel tout nouveau produit
doit passer. Une condition sine qua non pour que celui-ci soit attractif auprès
des principaux clients de la banque, les musulmans, est son adéquation aux
règles du droit islamique. Cependant, plusieurs techniques sont à la
disposition des juristes musulmans, comme le qiyas, la maslaha ou
encore l'istihsan . Ce fut le cas, par exemple, pour la procédure
d'approbation du contrat de Salam. Rappelons qu'au départ, la vente d'un
objet qui n'est pas en possession du vendeur est interdite. Cependant, dans le
cas du contrat de Salam, le Prophète (sbsl) a autorisé une telle
transaction pour les besoins des gens de son époque, pour autant que la
protection des intérêts des deux parties soit assurée .
Ici aussi,
de nouveaux besoins sont apparus et la nécessité de l'innovation se fait
nettement ressentir. Les marchés financiers conventionnels débordent de
nouveaux produits tels que les options, les plans de pension, les cartes de
crédit, ... Les institutions islamiques ne peuvent donc se permettre de rester
à l'arrière-plan de la scène. C'est ainsi que de nombreux contrats classiques
ont été améliorés, voire modifiés, pour répondre aux besoins contemporains. On
peut citer comme exemple le modèle même de la structure bancaire islamique, la Mudaraba
two-tiers. Ce modèle est basé sur une adaptation du principe de Mudarib
udarib:qui donne le droit au Mudarib (la banque) de devenir
elle-même Rabb al mâl vis-à-vis de ses clients. Ce principe est
également usité pour l'application des sous-contrats pour d'autres techniques
financières. Le processus d'innovation est donc en cours mais requiert
d'importants investissements en Recherche et Développement. En vue d'optimiser
leurs investissements dans ce domaine, les banques ont décidé de centraliser
leurs efforts par la création, en 1992, du Bureau de Coordination et de
Recherche Académique, qui est situé dans le Centre Saleh Kamel pour l'Economie
Islamique, à l'Université Al Azhar au Caire, en Egypte.
3.1.3.
Diversité des conseils de la Chari'a
L'une des
plus grandes difficultés que rencontrent les Conseils de la Chari'a dans
leur fonction est la diversité des opinions des savants musulmans. Bien qu'ils
soient unanimes sur les principes fondamentaux, il existe souvent plus d'une
interprétation pour un seul sujet. Le gouvernement malais a tenté de faire face
à ce problème au début du développement de son industrie bancaire islamique. Sa
Banque Centrale, la Banque Negara, dispose de son propre conseil religieux qui
détermine les règles applicables pour l'ensemble des banques islamiques actives
sur son territoire.
Une
tentative de centralisation des conseils de la Chari'a a été amorcée par
les différentes initiatives de séminaires internationaux réunissant des
juristes et des experts financiers musulmans, séminaires dont le plus célèbre
est le OIC Fiqh Academy tenu régulièrement à Jeddah, en Arabie Saoudite.
La situation
est cependant loin d'être idéale. Les discussions entre juristes et financiers
sont souvent vides de sens, ceux-ci utilisant des termes techniques qui varient
non seulement d'une discipline à l'autre, mais également d'un pays ou d'un
courant de pensée à l'autre. Le véritable problème qui se pose dès lors est «
... la carence en savants qui maîtrisent tant les enseignements coraniques
qu'économiques et financiers. Dans une interview donnée à l'auteur, Muazzam Ali
de la IIBI à Londres estimait qu'il n); avait pas plus de 20 savants à
travers le monde qui répondent à ces conditions210)).
Ce problème
de concordance des avis émis mène souvent à des opinions contradictoires et à
des conflits d'intérêts. De plus, la diversité des conseils de la Chari'a ralentit
considérablement le développement du système financier islamique, sans lesquels
il ne peut cependant pas fonctionner.
3.2.
Problèmes d'ordre institutionnel
Chaque
système possède ses exigences institutionnelles, et le système financier
islamique n'est pas une exception. Comme tout système, il nécessite également
la présence d'instances de contrôle et d'assistance qui lui permettent d'opérer
dans l'environnement le plus favorable qui soit.
Jusqu'ici,
les institutions financières islamiques à travers le monde ont toujours essayé
de bénéficier de la structure institutionnelle déjà établie pour le système
conventionnel. Cependant, elles ne peuvent se contenter d'une structure
reposant sur des principes différents et souvent contradictoires à son
fonctionnement. La nécessité de l'établissement d'institutions orientées plus
spécifiquement vers leurs besoins et leur nature se fait donc vivement
ressentir.
3.2.1.
Nécessité d'instances de régulation et de contrôle
Le manque
d'instances de contrôle dans le paysage financier musulman est l'un des
problèmes les plus urgents à résoudre, étant donné les carences qu'engendre ce
manque. En effet, trois raisons expliquent cette urgence: la difficulté
d'acquisition d'informations disponibles pour les investisseurs et le manque de
transparence, le manque d'assurance quant à la faisabilité et au futur du système
financier, et l'amélioration des politiques monétaires.
L'information
est un élément essentiel pour assurer la continuité d'un système financier, et
dire que la transparence est une qualité du marché bancaire islamique serait un
leurre. Il n'est pas rare, par exemple, que le procédé exact de calcul des pans
de profits sur les différents dépôts soit gardé confidentiel. De la même
manière, les détails quant à l'utilisation des fonds par les banques ne sont
que rarement rendus publics. Cette attitude de la part de la majorité des
banques islamiques enraye la fiabilité de leur activité. Une transparence plus
accrue est donc requise et celle-ci pourrait être exigée par une instance de
contrôle, qui obligerait les banques à révéler les informations cruciales aux
investisseurs potentiels et ainsi augmenter l'efficacité des marchés
financiers.
L'industrie
bancaire conventionnelle est l'un des secteurs les plus contrôlés et les plus
régulés. Bien qu'une instance comme la Banque Centrale est présente dans tous
les pays où il existe des institutions islamiques, la structure et le
fonctionnement de celle-ci sont trop souvent calqués sur celle du système
conventionnel.
Ces
dernières années, des efforts ont été entrepris dans certains pays; ainsi, en
Egypte et en Jordanie, un Acte Bancaire Islamique a été édité, prévoyant des
règles spécifiques aux institutions financières islamiques et les relations de
celles-ci avec la Banque Centrale. D'autres pays comme la Malaisie ont édicté
des règles, pour les opérations des banques islamiques parallèlement à celles
déjà présentes pour les banques conventionnelles.
Cependant,
aucune de ces initiatives ne prévoit un système d'assistance conforme aux
règles de la Chari'a. Ainsi, les dépôts des banques auprès de la Banque
Centrale restent rémunérés par une charge d'intérêt, et il en est de même pour
les prêts octroyés. Plusieurs solutions ont déjà été avancées, mais rares sont
leurs applications. Ainsi, Chapra212 propose un dépôt commun par les
banques islamiques sous le contrôle des Banques Centrales pour fournir une aide
à une autre en cas de problème de liquidité, et ce sur une base coopérative.
Enfin, une
dernière institution qui devra être mise sur pied prochainement est un Conseil
de la Chari'a commun à toutes les banques et qui fournirait des règles
standardisées et communes à chacune.
3.2.2.
Nécessité d'un marché secondaire
Un système
financier requiert qu'une bonne partie de ses activités soit basée sur du long
terme. Dans le système conventionnel, ces activités sont assumées par
l'émission de titres comme les obligations à long terme et les actions. Cette
fonction est assurée par les marchés de titres et les institutions
spécialisées. En plus du public, les plus importantes sources de ces
investissements à long terme sont les banques d'investissement, les fonds
communs, les compagnies d'assurance et les fonds de 'pension.
Dans le
système islamique, une émission d'obligations à long terme n'est pas possible
puisqu'elle repose sur l'intérêt. Le besoin en marché des actions est, par
conséquent, bien plus élevé. De plus, un manque latent de standardisation des
produits empêche les banques islamiques de se développer. Cette standardisation
permettrait aux banques de coopérer, tout comme les méthodes basées sur
l'intérêt ont été uniformisées. Cette uniformisation favoriserait la
syndication de beaucoup de transactions bancaires et la capacité de pouvoir
titriser ces produits endiguerait le manque de négociabilité de ces produits,
permettrait la croissance d'un marché secondaire spécifique et encouragerait
les investissements à long terme.
Malheureusement,
dans la plupart des pays musulmans, le marché des actions n'est pas vraiment
développé. Parallèlement, le nombre d'institutions spécialisées est
relativement négligeable. Des fonds communs et des fonds Mudaraba sont
apparus mais leur nombre reste assez restreint et l'information sur leur
performance presque inexistante. De la même manière, le nombre de compagnies
d'assurance islamiques peut tenir sur les doigts d'une main.
Ce retard
pose plusieurs problèmes au système musulman: d'une part, il l'empêche
d'assurer son avenir et sa longévité à cause du déséquilibre flagrant qui
existe entre le court terme et le long terme. D'autre part, il augmente le
décalage déjà existant avec le marché conventionnel où le nombre et les
performances des institutions spécialisées sont relativement croissants
3.2.3.
Absence d'uniformisation comptable
Alors que
les banques conventionnelles disposent de règles comptables internationales qui
leur sont communes et que leur Banque Centrale publie les comptes annuels
consolidés des banques après supervision, le système financier islamique
dispose d'une diversité de pratiques comptables, pratiques qui varient d'une
institution à l'autre, entravant ainsi toute tentative de comparaison entre les
documents comptables. De plus, les concepts utilisés pour l'élaboration du
bilan et du compte de résultat ne sont que rarement définis d'une manière
rigoureuse.
Cependant,
ces dernières armées, plusieurs initiatives ont été prises pour neutraliser ce
problème et pour tenter une standardisation des pratiques comptables. Etant
donné l'ampleur et la nouveauté de cette initiative, un simple paragraphe ne
nous permettrait de l'aborder d'une manière adéquate